Mythologie grecque : le culte de la beauté toujours d’actualité

On le sait bien, la guerre de Troie, c’est avant tout une histoire de « qui est la plus belle ». Eh oui, même nos chères déesses grecques se sont essayées aux commérages de maternelle. L’objet central de leurs crêpages de chignons ? La BEAUTÉ, la sempiternelle trublionne. Vous aurez donc compris que notre véritable obsession pour la perfection physique ne date pas d’hier, et ça vaut le coup de décrypter ça plus en détail, non ?

Une obsession qui traverse les âges

Diktat de la maigreur, taille « mannequin », recherche de perfection, jugements, critiques, body shaming : voici une flopée de mots tristement populaires chez la jeunesse d’aujourd’hui. En effet, notre société, baignée dans la révolution numérique, est sans cesse confrontée à cette image idéalisée de la beauté, pourtant bien souvent le résultat de retouches et autres subterfuges. Assurément, il est honnête d’admettre que nous sommes tous indéniablement attirés par la beauté. Malgré nous, nous avons une certaine tendance à mettre en valeur une chose esthétique à notre regard plutôt que de se focaliser sur un objet banal et quelconque. Cependant la beauté demeure subjective et surtout très injuste, créant de fortes inégalités entre individus et ayant un réel impact sur le marché du travail ou même de l’amour. Laisser gagner en influence une sélection par le beau n’engendre souvent que des effets néfastes sur notre société, entraînant chez la population une perte de confiance en soi et un profond jugement de l’autre.

Tendance propre à notre société contemporaine ou phénomène influencé par notre passé, notre obsession pour la beauté a véritablement traversé les âges, l’esthétisme étant de tout temps un critère au cœur des préoccupations de chacun. Si l’on doit cependant retenir une période historique, l’Antiquité est indubitablement la première période à mettre en exergue un culte extrême de la beauté, ayant ainsi laissé son empreinte jusqu’à nos jours. La mythologie grecque a largement influencé notre obsession actuelle pour la beauté, c’est un fait. Mais, elle a également orienté notre regard critique et notre jugement portés sur l’autre, des réflexes aujourd’hui largement diffusés dans nos sociétés contemporaines. 

©Musée du Louvre – La naissance de Vénus, Botticelli (1486)

et qui trouve ses racines en Grèce !

Cette quête de beauté suprême trouve ses racines dans les mythes grecs de l’Antiquité. On peut observer l’importance de la beauté dans la mythologie, suivant le plus souvent cette philosophie du « je veux être la plus belle », dont la déesse Aphrodite est la plus fervente représentante. La beauté rend supérieur et peut élever socialement certains individus, soulignant ainsi leur unicité face à la prépondérance de la banalité physique. On peut retrouver cette idée de suprématie de la beauté dans les aventures amoureuses du dieu Zeus. En effet ce dernier enlève des jeunes filles mortelles simplement en fonction de leur beauté, cette dernière devenant un critère de sélection primant sur l’intelligence ou encore la vivacité d’esprit. Ainsi, Io, Danaé ou encore Europe furent les proies de Zeus car, à l’époque, seule la beauté donnait une certaine valeur aux femmes et on ne les estimait qu’à travers leur charme. On peut également reprendre l’exemple de la princesse éthiopienne Andromède visitée par le monde entier pour sa beauté envoûtante, témoignant ainsi de la véritable obsession pour la beauté chez les Grecs. L’apparence est donc sacralisée, comme l’illustre le mythe de Pygmalion et Galatée. Ce dernier a sculpté la femme de ses rêves et, totalement subjugué par sa beauté, en est tombé amoureux. Ce mythe représente ainsi l’image d’une femme-objet seulement aimée pour son physique, car en tant que statue, sa personnalité et sa perspicacité ne sont absolument pas mises en avant. 

Un pont peut donc être fait entre les mythes grecs et notre société contemporaine car ce diktat de la beauté est encore d’actualité de nos jours. Les femmes d’aujourd’hui veulent toutes atteindre l’absolu de beauté, à l’image d’Aphrodite, une beauté fatale, suprême, parfaite, et surtout inatteignable pour de simples mortelles. La femme est aujourd’hui objet : de désir, de jugements et attire autant les regards que les critiques à l’ère du numérique où l’image est accessible de tous. La femme n’a de valeur qu’à travers sa beauté et sera mise de côté si elle possède certains critères rédhibitoires. La presse féminine joue ce jeu de culte esthétique en présentant des femmes aux allures divines et ne possédant aucun défaut, mais cela ne reflète aucunement la réalité des choses. En effet, les femmes dites normales ne peuvent pas s’identifier à ces figures idéalisées car ces dernières ne représentent pas le physique de la majorité des femmes. Cette large différence visuelle crée malheureusement des complexes d’infériorité chez beaucoup de femmes, pour autant non fondés car les mannequins des magazines sont bien souvent retouchés. Mais ce reflet idéalisé de la femme entraîne tout de même des dérives telles que la chirurgie esthétique excessive, les régimes démesurés ou encore les logiciels de retouches de plus en plus efficaces et déformants. Ainsi, qu’importe l’époque, la même problématique demeure : la recherche du corps parfait entraîne une mise à l’écart de la plupart des femmes et une décroissance de la confiance en soi. 

Danaé, Alexandre-Jacques Chantron, 1891, musée des Beaux-Arts de Rennes - Twelve Magazine
©Musée des Beaux-Arts de Rennes – Danaé, d’Alexandre-Jacques Chantron, (1891)
Jean-Léon Gérôme, Pygmalion & Galatée, 1890 - Twelve Magazine
©The Metropolitan Museum of Art – Pygmalion & Galatée de Jean-Léon Gérôme (1890)

Une comparaison toxique mais systématique

Par ailleurs, au-delà de l’idéal de beauté à atteindre, c’est également entre femmes que la comparaison esthétique se fait. Cette quête de beauté s’illustre à travers les concours et autres concurrences établies entre les déesses mythologiques par exemple. L’un des exemples les plus probants est sûrement celui du mythe du Jugement de Pâris. En effet, aux noces de Pélée et Thétis sur l’Olympe, tous les dieux sont invités sauf Éris, déesse de la Discorde. Pour se venger, celle-ci leur jette une pomme d’or avec la mention : « Pour la plus belle », représentant ainsi la fameuse pomme de la discorde. Trois déesses revendiquent alors le fruit, Héra, Athéna et Aphrodite. Afin de mettre un terme à la dispute, Zeus ordonne à Hermès d’emmener les déesses sur le mont Ida et de charger Pâris, prince troyen, de désigner la gagnante. Le jeune homme accorde finalement la pomme à Aphrodite en échange de l’amour de la plus belle femme du monde, la belle Hélène, épouse de Ménélas roi de Sparte, déclenchant par la suite la guerre de Troie.

De fait, on peut tirer deux conclusions de cette tristement célèbre histoire. Premièrement, mêmes les figures suprêmes du monde grec, c’est-à-dire les divinités elles-mêmes, peuvent faire preuve d’hubris et concourent entre elles pour un titre de beauté, cette dernière étant donc synonyme de pouvoir. Même Athéna, censée faire preuve de sagesse, se prête au jeu et fait tout ce qui est en son pouvoir pour plaire à tout prix. Deuxièmement, on peut souligner l’importance de l’apparence dans les mythes grecs. Le prince Pâris choisit la plus belle femme d’un monde à défaut du pouvoir ou du succès militaire, témoignant ainsi de la prépondérance de l’esthétisme dans l’Antiquité. Cette comparaison a également pu se faire entre déesses et mortelles comme le démontrent les mythes de Cassiopée, Méduse ou encore Psyché. Chacune d’elles a payé à sa façon de son impertinence car il n’y a rien de pire que de se comparer et se croire supérieure à une déesse.

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Cette comparaison esthétique systématique s’est transmise à travers les époques et l’on peut encore la retrouver à travers les concours de beauté actuels tels que Miss France par exemple. La beauté demeure au cœur des préoccupations et est encore un signe de réussite sociale. Les individus ne se réalisent que dans le regard de l’autre. Le jugement sur son prochain est constant et possède une grande valeur pour chacun d’entre nous. Ce regard critique peut s’apparenter à une acceptation de l’autre, et à plus grande échelle de la société tout entière. Nous sommes sans cesse jugées et seules deux issues sont possibles : l’adhésion ou le rejet. Posséder les critères de beauté adéquats, être considérée comme « la plus belle » est synonyme de pouvoir et de supériorité face aux autres. À l’inverse, ne pas rentrer dans les standards de beauté entraîne une mise à l’écart et une exclusion sociale. Cette comparaison continue se retrouve également dans les réseaux sociaux, les individus entrant en confrontation directe avec autrui. Cette opposition immédiate pousse au mensonge afin d’être en mesure de faire le poids, chacun usant de divers stratagèmes tels que les retouches ou les filtres afin de diffuser la meilleure image de lui-même. Cependant, ces usages sont néfastes pour la société, dès lors emprisonnée dans un cercle vicieux de l’idéal inatteignable et transmettant une image faussée de la réalité et de la beauté humaine authentique.    

©Buzz Feed Vidéos

Ainsi, les mythes grecs ont largement influencé notre vision de la beauté et de nombreux parallèles ont pu être établis. Quelle que soit l’époque, les individus, mortels ou divinités, demeurent obnubilés par la beauté et lui vouent un véritable culte. L’apparence est synonyme de pouvoir, de supériorité et d’acceptation par rapport aux autres. Elle prime sur l’intelligence ou d’autres traits de personnalité pourtant importants et réduit donc souvent la femme au statut de simple objet de désir. Cette recherche du corps parfait entraîne des dérives néfastes pour les femmes, cherchant à tout prix à atteindre un idéal, quitte à déformer leur essence profonde.

Cette philosophie du paraître avant l’être s’accompagne également d’une prédominance du jugement. Déesses ou simples mortelles, toutes se comparent les unes aux autres, la beauté créant une sorte de hiérarchie sociale pouvant offrir plus d’autorité en fonction de ses charmes. À l’inverse, les plus faibles peuvent être victimes de « bodyshaming » si elles ne possèdent pas les critères esthétiques adéquats. La beauté entraîne donc une réelle dictature de l’apparence, où chacune est prête à tout pour assoir son autorité et être considérée aux yeux des autres. Ainsi, les chamailleries divines d’antan n’ont pas perdu de leur vigueur, Aphrodite, Athéna et Héra ayant donc initié, en véritables « influenceuses », tout une nouvelle génération au culte du « je serai la plus belle ».

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