Il y a des mots qu’on ne pensait pas écrire. Ceux de cette terrible nouvelle en font partie. Parce que Gaspard Ulliel nous a quittés, aujourd’hui, à 37 ans. On aurait pu parler de sa carrière en revenant sur ses films majeurs, ses deux Césars, ses collaborations prestigieuses au cinéma ou avec la mode …
Mais c’est notre âme d’adolescente qui a voulu s’exprimer. Parce qu’elle a aimé Gaspard Ulliel dès le premier jour où elle l’a vu, sur un écran. Lui, sa beauté magnétique, insaisissable, rappelant presque Alain Delon, son charisme, sa voix grave, douce, un peu éraillée comme si elle avait vécu mille vies, sa gestuelle timide et assurée, sa silhouette gracile et masculine, son jeu juste.
J’ai aimé Gaspard Ulliel. Il m’a marqué dès que j’ai commencé à aimer le cinéma. Et ce sont ses yeux bleus et profonds qui m’ont fait chavirer. J’avais l’impression qu’il me regardait, moi seule, et pour toujours. Alors oui, de ses premiers films, je n’en ai vu qu’un, et ce n’était pas pour lui. Depuis, s’il était à l’affiche d’un film, c’est pour lui que j’y allais. Pour croiser son regard, pour me laisser transporter dans son histoire, pour le laisser me prendre dans ses bras, le cœur palpitant. Un long dimanche de fiançailles fut notre rencontre. Manech était ton nom et j’aillais découvrir qu’un acteur se cachait derrière. Parce qu’il était devenu son personnage et il qu’il l’incarnait à la perfection. L’amour que lui portait Mathilde fut le mien.
Il a fait bien des choses par la suite. Car Gaspard Ulliel, que j’aimerais appeler Gaspard tant il me semble le connaître par ses rôles, est mué par la passion, par le cinéma. En 2010, c’est deux choses qui nous marqueront. Son rôle dans La princesse de Montpensier en duc de Guise, séducteur, sulfureux, audacieux. Puis les débuts d’une grande histoire avec la maison Chanel. Un spot de publicité pour le parfum Bleu. Et là encore, ses yeux, sa bouche … Je me souviens avoir demandé un échantillon pour en mettre sur mon oreiller et m’endormir avec cette odeur. Parce qu’elle était apaisante. Parce qu’elle me faisait penser à toi. Et dès que je te voyais sur les pages des magazines, un sourire parcourait mes lèvres.

En me plongeant dans sa filmographie, je me rends compte que je n’ai vu que peu de films. Mais, une après-midi, je me plongeais dans Les Egarés de Téchiné. Pour lui, Gaspard, et uniquement lui, je divaguais dans le sud de la France en pleine débâcle en 1940. Il est jeune, pourtant, on remarque déjà une maturité qui surprend, une intensité qui émeut. J’ai pleuré. Parce qu’il était émouvant de gravité. C’était ridicule mais enfin, je ne regardais plus que toi ; on ne pouvait voir que toi.
Nous nous sommes retrouvés un mercredi après-midi de 2014 au Gaumont place Wilson à Toulouse. Tu étais Yves Saint Laurent. Il respirait comme lui, parlait et bougeait à sa manière. C’était une fusion incroyable pour la passionnée de mode que j’étais. Je te redécouvrais. Tu me fis rougir en sortant d’un placard. A ce moment-là, je sus que tu serais inoubliable. Mon cœur trembla. J’ai regardé une montagne de vidéos sur Youtube pour apprendre à te connaître, pour te comprendre, pour t’expliquer. Je ne savais pas ce qui provoquait un si grand trouble dans mon cœur d’adolescente. Tu étais la confiance discrète, la sincérité désarmante, avec le mot toujours bon, une politesse appréciable et un calme passionné. Tu partageais ton émotion et je la prenais tout entière.
C’est drôle de remarquer que beaucoup de mes souvenirs de cinéma lui sont liés. Qu’il m’a fait frissonner dès le début et que mes souvenirs sont toujours aussi vifs, des années après. La danseuse m’ennuya, mais tu étais là, effacé, en second rôle. Une fois encore, il y avait tes yeux. Plus sombres, plus durs, mais toujours bouleversants et tendres. Tu avais mûri. Et moi aussi. Pourtant, comme j’aimais à te voir à nouveau. Cette fois, je voulais que tu m’embrasses à la place de Soko. J’étais presque une adulte, mais toi, tu étais devenu père. Tu étais une figure que j’admirais et que je respectais. Je ne t’aimais plus à la folie, mais je n’en t’aimais pas moins.
Juste la fin du monde, presque celle du nôtre … Jamais, il ne m’avait autant émue. Cette vulnérabilité lovée dans les souvenirs, au sein d’une famille dysfonctionnelle. La caméra de Xavier Dolan te saisit, esquissant ton ombre, traçant ton sourire inimitable sur un visage mélancolique. Louis ou Gaspard, je ne savais plus quel était ton prénom. Le cinéma a vu mes larmes couler. J’écoute souvent la musique du film. Et je pense à lui et à cet air mystérieux qu’il prenait.
La dernière fois que je t’ai vu, jamais je n’aurais pu penser que ce serait la dernière. Cela n’a pas de sens que d’écrire ces mots. Pourtant, nous nous sommes dits adieu, toi et moi, dans une petite salle de cinéma à la fin du XVIIIe siècle, au début de la Révolution française dans Un peuple et son roi. Je voulais le voir, encore une fois, le voir sur le grand écran, car il n’était jamais aussi fort et beau que là, dans le noir, sur un fauteuil rouge. Tu avais vu le roi qui toucha ta tête. Je te vis, et tu touchas mon cœur. Tes yeux pleins d’espoir d’un monde nouveau allaient me rendre l’espoir aussi.
Nous ne nous sommes pas retrouvés. Nous nous sommes aperçus dans Sybil. J’avais 20 ans. Mais tu m’avais tant impressionnée dans le précédent que tu t’étais éclipsé pour le reste. Nous nous sommes croisés, souvent dans les magazines, aux défilés, dans les festivals … Mais jamais, je ne t’ai revu au cinéma. Et désormais, il me faut chérir les souvenirs de ces salles obscures que tu hantes. Le cinéma a perdu un de ses enfants. Et moi, pour toujours, mon âme d’adolescente.
Je te pensais immortel. Et mon cœur pleure. Il y a des gens qui nous marquent pour toujours et tu l’as fait dès lors que je t’ai vu. Je sais que la magie de l’art opèrera et que je te retrouverai chaque fois que je le voudrais … Mais enfin, c’est un bien étrange moment et je joins mes larmes à ceux qui t’aiment, au-delà du cinéma. Alors à bientôt …