Ce lundi 13 septembre, l’évènement le plus attendu de la fashion sphère a fait son grand retour, signant le come-back officiel du monde de la mode. Tel un slogan savamment printé sur un tee-shirt Dior ou un tagué sur un sac Off-White, ce Met Gala fut pour tous les fous de mode comme une affirmation scandée à pleins poumons : « Ça y est, la mode est de retour ! »
2021 : un cru mode globalement décevant
Qu’est-ce qu’on l’attendait avec impatience. Pour cette édition 2021, le Met Gala devait mettre le style américain à l’honneur, l’intitulé « In America : A lexicon of Fashion » ne laissant planer que peu de doutes. Pour un retour en douceur, Anna Wintour a donc (pour une fois) essayé de faire simple. Et c’est plutôt compréhensible. Avec le coronavirus, nos starlettes hollywoodiennes méritaient bien un retour aux sources, et on va dire qu’il est plutôt simple de se célébrer… soi-même. Mettre en valeur son propre pays paraissait donc chose aisée à appliquer. Néanmoins, et je vais peut-être me mettre quelques copains à dos mais, nos chers ricains ne se sont pas vraiment foulés.
Les possibilités étaient tellement infinies. Références historiques, stylistiques, cinématographiques, littéraires, ou encore géographiques, le choix ne manquait pas lorsque l’on se rend compte du mastodonte qu’est la culture américaine. Excusez-moi, mais nous parlons quand même d’un American Dream qui a influencé (je dirais même américanisé) le monde pendant au moins deux siècles, à tous les niveaux. Bref, un jeu d’enfant pour des invités qui n’ont vraisemblablement pas réussi à en saisir les règles. Et même si certains ont vaguement compris le thème, le stylisme n’a pas vraiment suivi. Assez troublant quand on connaît l’enjeu mode crucial de cette soirée pas comme les autres.
Débriefing complet … en toute sincérité !
Bon vous allez me dire, tu blablates beaucoup, mais viens-en aux faits : quelle star s’est magistralement loupée ?
DISCLAIMER : il s’agit uniquement de mon avis, et il n’engage que moi.
Les ratés :
Lil Nas X en Versace
Bon, j’en suis désolée, mais Lil Nas X est complètement passé à côté de son sujet. Pourtant habillé par notre chère Donatella, le jeune chanteur n’a pas présenté une, ni deux, mais trois tenues de gala. Un comble quand on se rend compte qu’aucune des 3 propositions n’avait un rapport réel avec le thème de la soirée. Ce trio était censé représenter sa propre évolution identitaire. Premièrement la cape, qui symbolise la dissimulation de sa véritable personnalité, puis l’armure dorée, pensée comme une protection face aux préjugés auxquels il est confronté en tant qu’artiste noir et homosexuel, et enfin le body moulant qui le révèle sous son vrai jour, tel qu’il est, sans fard. Bref, si cette allégorie sentimentale est plutôt touchante, il semblerait que Lil Nas X n’ait pas lu le brief de Miss Wintour. Donc pour les références US, on repassera… Par ailleurs, ce look trois en un m’inspire aussi un certain goût de déjà-vu, Lady Gaga ayant déjà proposé en 2019 un show spectaculaire avec 4 tenues signées Brandon Maxwell. Échec et mat mon malheureux Lil Nas.
Lili Reinhart en Christian Siriano et Irina Shayk en Moschino
L’idée de base était pourtant très bonne. Habillée par Monsieur Siriano, le plus jeune gagnant de Project Runway, Lili nous a proposé une robe parfaitement adaptée au thème de la soirée. Recouverte des fleurs officielles des 50 États américains, il faut bien avouer qu’on ne peut pas faire plus patriote. Mais là où le bât blesse, c’est lorsque l’on compare cette proposition aux autres allures vues sur le red carpet. Si l’on s’arrête par exemple chez Irina Shayk, la ressemblance troublante entre les deux looks a sûrement eu de quoi donner un bon haut-le-cœur à la papesse Wintour. Ce quiproquo est presque risible, mais il dessert malheureusement les deux icônes, l’une devenant la jumelle caricaturée de l’autre.
Mais ce petit train de la honte trouve son terminus chez la gourou du makeup Nikkie de Jager, aka NikkiTutorials. Cette dernière a profité de son premier gala pour rendre hommage à la militante Marsha « Pay It No Mind » Johnson. La YouTubeuse néerlandaise portait une robe en tulle aigue-marine d’Edwin Oudshoorn, le tout rehaussé de motifs floraux. Une ceinture tissée dans la traîne de la robe portait la célèbre phrase de Johnson, « Pay it no mind », écrite en travers. « Ne faites pas attention » aurait été la réponse de Johnson à ceux qui remettaient en question son genre et son mode de vie. Une belle façon de célébrer la communauté transsexuelle, si peu représentée lors de ce genre d’évènements. Ainsi, entre le message fort de Nikkie et la copie conforme d’Irina, Lili Reinhart laisse filer le titre de reine du bal, devenant a contrario une sorte de marraine-fée à la limite du has-been.
Hailey en Yves Saint Laurent et Justin Bieber en Drew House
Pour être honnête, les mots qui vont suivre me fendent littéralement le cœur. Stylistiquement iconique, je ne suis jamais déçue du couple Bieber. Mais il est clair qu’au Met 2021, les deux starlettes ne se sont pas vraiment foulées. Commençons tout d’abord par Hailey. Si la jeune mariée déclarait à Vogue s’être inspirée « des Grace Kelly du monde entier« , la référence semble assez abstraite, dans la mesure où son look est étonnamment assommant. Il est clair que la robe lui va à ravir, mais elle ne transpire aucunement les US. Malgré un bustier plutôt bien travaillé, Hailey était donc d’une sobriété presque rasoir, à l’image de Justin donc le look n’avait également rien de transcendant. Vous l’aurez donc compris : pas convaincue par le clan Bieber en ce lundi soir, et cela est bien navrant.
Hailee Steinfeld en Iris van Herpen
Alors là, c’est la plus grande incompréhension de la soirée. Transformée en un véritable ovni, Hailee a décidé de faire fi des directives de la patronne de la mode. Sauf que lorsque l’on décide de faire un tel hors-piste, la moindre erreur se paie très cher. Devenue entièrement blonde, avec des sourcils décolorés, Hailee nous a proposé un look tout droit sorti du dernier Valérian de Luc Besson. Un choix assez inattendu, pour ne pas dire complètement hors sujet. La robe « Magnetosphere« , pensée par la créatrice néerlandaise Iris van Herpen, serait fabriquée à partir de plastique océanique recyclé, en collaboration avec l’association Parley Ocean Plastic. Au-delà du fait que son look ne lui sied pas autre mesure, une nouvelle fois, pour une référence de près comme de loin aux US, on repassera. Résultat des courses : la chanteuse de 24 ans n’a pas encore l’étoffe stylistique pour jouer dans la cour des grands.
Mentions borderline :
Rihanna & A$AP Rocky, pyjama party au MET
Je crois que Rihanna est arrivée à un tel niveau de notoriété qu’elle s’émancipe d’à peu près toutes les obligations qu’on lui impose, thème de Met Gala compris. Habillée en tout et pour tout d’une couette noire made in Balenciaga Couture, la starlette nous a bien fait comprendre qu’elle voulait être à l’aise. Son look serait une référence à la tendance du homewear, aka l’hégémonie du jogging que nous avons tous pu « subir » pendant les confinements successifs. La star a également tenu à souligner son envie de déstigmatiser le sweat à capuche qui, porté par les communautés noires, les cataloguent souvent en tant que délinquants. Les références semblent donc multiples, sans véritablement retrouver de fil rouge avec l’histoire américaine. Heureusement, A$AP Rocky a su lui apporter son soutien en arborant sensiblement la même silhouette, plus colorée et signée ERL.
Cara Delevingne, un petit problème d’appropriation
Son look était pourtant si prometteur. Un message féministe fort, un look sobre pour ne rien empiéter de son engagement, un plastron lourd de signification. Deux problèmes se posent alors. Premièrement, malgré une ligne éditoriale aux influences féministes, dans les faits, la maison Dior n’est pas blanche comme neige. Plutôt partisan du women washing que d’un véritable passage à l’action, Dior a une nouvelle fois fait preuve d’une grande maladresse en s’appropriant le slogan « Peg the patriarchy » sans créditer sa créatrice, Luna Matatas. Artiste indépendante, éducatrice sexuelle et femme de couleur queer, Luna a déposé la phrase en 2015 et aurait donc souhaité que la mannequin et la marque la créditent. Encore un bad buzz qui aurait pu être évité, à croire que la marque ne saisit pas vraiment les véritables enjeux du combat féministe.
Natalia Bryant et son sens des priorités douteux
Pour une fois, le thème a été suivi à la lettre, la robe de Natalia Bryant faisant même partie de l’exposition » In America : A lexicon of Fashion » du MET. Pensée par le créateur émergent Conner Ives, cette robe en forme d’œuf inspirée des années 60 est fabriquée de manière durable à partir de plastique PET recyclé. Néanmoins, si l’on applaudit l’originalité, le look est selon moi too much : trop d’informations, de références, de volume (aussi bien au niveau de la robe que de la coiffure), de talons, bref un trop-plein qui fait mal aux yeux. Comme quoi, respecter un thème, c’est aussi une question d’équilibre.
À lire également : Trench-coat : l’incontournable mode fait sa rentrée
Les réussites :
Néanmoins, on a également vu de très bonnes choses au Met Gala, alléluia.
Kim Kardashian en Balenciaga
Quel coup de génie. Quoi de plus inhérent aux États-Unis que le star-système ? Kim nous prouve une nouvelle fois sa profonde intelligence en remettant en cause le manque cruel d’anonymat dont souffrent les célébrités mondiales, et surtout américaines. Sans cesse sous les projecteurs, les tapis rouges ne sont rien de moins que l’acmé ultime de cette société de l’image. La reine d’Instagram nous a donc tous pris de court en débarquant, toute de noir vêtue, masquée, et donc complètement anonymisée. Mais la robe noire Balenciaga n’a aucunement permis à Kim Kardashian d’échapper aux paparazzis, bien au contraire. La starlette a une nouvelle fois été au centre de l’attention, un comble pour un look totalement camouflé. Kim a finalement atteint un tel niveau de notoriété qu’elle n’a même plus besoin d’exposer son célèbre faciès pour faire mouche. Leçon de vie, leçon de style : chapeau bas Madame Kardashian.
Kaia Gerber en Oscar de la Renta
Comme quoi, la sobriété et l’élégance paient toujours. Pour son premier Met Gala, Kaia n’a fait aucun faux pas. Habillée par Oscar de la Renta, la jeune mannequin était éblouissante dans une robe bustier noire customisée d’une classe folle. C’était un hommage direct à la robe Dior portée par Bianca Jagger pour le même événement en 1981. Référence américaine, hommage touchant, look glamour à souhait et mise en beauté impeccable, je dois dire que Mademoiselle Gerber m’a simplement scotchée. En d’autres termes : « she took my breath away« .
Gemma Chan en Prabal Gurung
C’est mon look coup de cœur, autant pour l’allure que pour l’hommage rendu. J’ai découvert (bien trop tardivement) l’existence d’Anna May Wong dans la mini-série Hollywood de Ryan Murphy. Une artiste dont la vie fut un combat pour la reconnaissance de son talent, au-delà de ses origines. Et voir Gemma Chan lui rendre un ultime hommage, sur ces fameuses terres hollywoodiennes, et bien ça m’a fait quelque chose. S’appuyant sur des images d’archive de l’icône chinoise, Gemma était simplement merveilleuse dans sa mini robe noire à paillettes ornée d’un motif de dragon, avec une traîne spectaculaire vert pastel. Comble du style, la star a coiffé ses cheveux en tresses, dans le cadre d’un up-do structuré, une coiffure signature de Madame Wong. Merci Gemma Chan de nous rappeler que la mode peut aussi être une affaire d’émotions et de frissons.
Kendall Jenner en Givenchy
Étant une fan absolue d’Audrey Hepburn, je n’ai que d’autant plus savouré la référence. La top était simplement éblouissante dans sa robe signée Givenchy par Matthew M.Williams, librement inspirée d’un look de la star hollywoodienne dans My Fair Lady. Alors oui, les puristes souligneront qu’Audrey Hepburn était avant tout british, mais on ne peut lui enlever son influence immense dans la culture cinématographique américaine. Réactualisée, plus échancrée il est vrai, mais avec une élégance préservée, la robe de Kendall Jenner a donc sûrement fait tourner quelques têtes, mais aussi fait chavirer quelques cœurs (le mien compris), nous offrant un joli moment de mode.
Mentions honorables :
Billie Eilish, Marilyn Monroe des temps modernes
Une référence plutôt évidente, mais exécutée avec goût avec Oscar de la Renta. Quintessence du glamour hollywoodien des années 50, la permanente vaporeuse de la chanteuse n’a laissé aucun doute quant à son inspiration du jour : notre chère Marilyn Monroe. Simple. Mais efficace.
Timothée Chalamet et son impertinence bien dosée
Le jeune acteur franco-américain a joué de finesse et d’espièglerie pour son look de 2021. En effet, Timothée s’est amusé à rappeler notre indécision universelle à s’habiller seulement de moitié pendant le Covid, Zoom oblige. Un clin d’œil plutôt smart à l’histoire américaine, le tout exécuté avec style sous la houppette d’Haider Ackermann et de … Converse, un grand écart mode inattendu mais étrangement plaisant.
Paloma Elsesser, entre élégance et références
Habillée par Zac Posen, la top plus size était renversante dans sa robe en satin duchesse rouge pomme, aux coupes exécutées à la perfection. Son look est un hommage évident au grand Charles James, dont les robes célébraient les courbes féminines avec de la corseterie et des jupes sculpturales. Un point de référence que Posen a d’ailleurs parfaitement capturé avec cette robe au corsage en forme de V plongeant. On notera également la référence artistique au peintre américain John Singer Sargent, connu pour ses portraits de l’aristocratie du XIXème siècle. En effet, Paloma semble tout droit sortie d’Ena and Betty, Daughters of Asher and Mrs Wertheimer (1901), quelle poésie !
Une soirée mode en demi-teinte
Ce MET Gala 2021 nous a donc servi du bon, comme du moins bon. En bref, « In America : A lexicon of Fashion » n’a vraisemblablement pas inspiré nos célébrités. Notons également que de grands noms n’ont même pas daigné fouler le tapis rouge. Beyoncé, Lady Gaga, Blake Lively, Zendaya, Bella Hadid ou encore Ariana Grande faisaient partie des grands absents, une perte stylistique plutôt fâcheuse pour « la soirée mode de l’année ». En toute sincérité, pour un thème semblant si simple à appréhender, tous les fashion faux-pas relevés ne sont, selon moi, pas excusables. Le MET Gala est une soirée de renom. La moindre des choses est de se montrer à la hauteur de l’invitation. Vous l’aurez donc compris, l’an 2021 ne fut pas le meilleur cru, à l’image de l’année désastreuse que nous venons de vivre. Mais peut-être serait-il enfin temps de lever cette malédiction pour de bon.